Ensemble # 4 | Juvisy Mag | Décembre 2021

19 • Ensemble #4 • Décembre 2021 Guy Dobez se souvient de l’Occupation PORTRAIT À 92 ans, Guy Dobez n’a rien oublié de son enfance à Juvisy, sous l’Occupation. Des souvenirs du quotidien d’un gamin, à ceux de cette nuit terrible du 18 avril 1944, quand les bombardements ont défiguré la ville, il se souvient de tout. Guy Dobez est né en 1929 en Guadeloupe, car son père gendarme y avait été affecté avant de rentrer en France métropolitaine en 1936. « Je suis arrivé à Juvisy à 10 ans, quand mon père a été nommé chef de la gendarmerie de la ville qui était située rue Jean Argeliès. Sous l’Occupation, il y avait surtout des cheminots de la Reichsbahn* qui vivaient à Juvisy. La ville était le plus grand triage de France et de ce fait, en 1940, les Allemands avaient relativement préservé des infrastructures qui devaient leur servir après la défaite de la France. » Gabriel Dobez, son père, était Major de gendarmerie. C’était un homme juste, animé par un amour immodéré de la patrie, qui fut décoré comme résistant après la guerre. « À Juvisy, la résistance, c’était des opérations d’infiltration et de renseignements, notamment sur les mouvements de troupes à la gare. Avec des cheminots français, mon père et quelques autres faisaient passer des messages. Je me souviens avoir vu partir de la gare des soldats allemands pour le front de l’est en juin 41, en chantant Lily Marlène. En 42, ils ne chantaient déjà plus. » Au fil de la conversation, le visage de Guy Dobez tantôt s’illumine, quand il évoque ses souvenirs de gamin, tantôt devient grave quand il repense aux événements tragiques dont il a été témoin. «Un jour, mon père a reçu l’ordre d’arrêter des juifs qu’ils connaissaient très bien. Horrifié, il est allé les prévenir. L’arrestation ayant capoté, il a fini par se retrouver questionné par la Gestapo durant quatre jours. » Mais ce qui a le plus marqué Guy, c’est cette nuit du 18 avril 1944, quand le bombardement a dévasté la ville et tué des dizaines d’innocents. « Vers 23h, mon père tapait un rapport à la machine dans la cuisine, quand l’alarme a retenti. Ouvrant la fenêtre et les volets ma mère a dit « nom d’un chien, c’est pour nous ! » On y voyait comme en plein jour ! Ensuite, ce fut l’enfer ! Il y a eu tellement de morts. Des pauvres gens qui rentraient de Paris par le dernier train s’étaient réfugiés sous la halle du marché, mais celle-ci fut visée, car les Anglais pensaient que c’était un hangar de matériel. Quand je suis sorti, je suis allé voir si mon copain Michel qui habitait rue de l’Avenir était en vie. Je suis tombé sur un retraité des PTT que je connaissais, il avait été projeté sur un poulailler, ses boyaux sortaient. Sa femme était prostrée à ses pieds. Le pire, c’est que d’autres bombes à retardement ont explosé durant une semaine encore. » Guy garde aussi des sentiments partagés de la Libération. « Nous étions heureux d’être libres, mais j’ai aussi vu des femmes tondues, giflées et humiliées, punies pour avoir aimé un soldat ou un cheminot allemand. Certaines n'avaient rien fait du tout. Les types qui faisaient ça étaient des bons à rien et des résistants de la dernière heure ! » Malgré une scolarité rendue difficile par la guerre, Guy a fait une brillante carrière dans les télécoms, puis dans l’informatique pour devenir cadre supérieur chez IBM. Toute sa vie, il est resté fidèle à la rigueur, au sens du devoir et de la justice que son père, le chef de la gendarmerie de Juvisy, lui a légués. « La guerre m’a montré ce qu’il y avait de pire chez l’homme, mais aussi, ce qu’il y a de meilleur. » * Chemins de fer allemands

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